Texte de Pierre Lemieux – 1985

Un canot retrouvé

Crédit dessin : Alain Côté

À la faveur d’excavations ou de travaux faits ici et là, il arrive parfois que l’on retrouve des témoins de notre passé : pièces de monnaie, armes diverses, objet d’usage quotidien, etc. Cependant, il n’est pas souvent fait mention de la découverte d’une embarcation fabriquée par nos ancêtres. Aussi, avons-nous été surpris d’apprendre qu’une telle trouvaille fût faite à Sainte-Foy, et qu’il aura fallu attendre de nombreuses années pour que celle-ci fasse l’objet d’une recherche.

C’est en 1950 que les premières démarches pour trouver l’embarcation furent entreprises par M. René Bureau, ex-conservateur du Musée de géologie de l’Université Laval.

Après avoir recueillies plusieurs informations, une visite de M. Bureau chez M. Polycarpe Giroux, alors domicilié sur l’actuel boulevard Pie-XII, permit d’en savoir plus sur les circonstances de la découverte de l’embarcation. Vers 1850, le père de M. Giroux effectuait sur ses terres des travaux de labour et de défrichage, quand il vit un morceau de bois qui sortait de la surface du sol. En dégageant la pièce, il s’aperçut qu’il s’agissait en fait d’un bout de pirogue dont une bonne partie était recouverte de quelques pieds de terre noire.

Complètement dégagée, la pirogue s’avéra être en piteux état : l’extrémité, qui était à la surface du sol, était très endommagée tandis que la partie opposée montrait des signes de grande décrépitude. Le père de M. Giroux décida donc de scier les deux bouts pour n’en conserver que le centre dont il referma les extrémités avec des planches.

Lorsqu’une centaine d’années plus tard, M. Bureau fût mis en présence des restes de la pirogue, il prit les notes suivantes :  » Le dessous est plat et l’on relève ici et là, à l’intérieur de l’embarcation (sic), des traces apparentées à des coups de hache ou d’un autre outil tranchant. L’extérieur est plutôt poli. Il est quelque peu fendillé par endroits et une fissure assez profonde a été fermée à l’aide d’une planchette. Ce qui reste du canot mesure 10 pieds et 4 pouces. Placé sur les bas tréteaux le canot contenait une chaise usagée, des boites vides, de vieux journaux, des guenilles, etc. L’ancien propriétaire de la maison, M. Giroux se servait de ce canot pour garder une provision de petits pois « . En plus des notes, M. Bureau prit mesures, photographia la pirogue et en fit un croquis. C’est à partir de ces documents que l’on a pu tenter de représenter, par un dessin, ce à quoi pouvait ressembler la pirogue entière.

Comment se fait-il que l’embarcation se soit retrouvée sur les terres de M. Giroux ?

La carte de Sainte-Foy nous apprend que le ruisseau de la Scie passait à proximité des terres de M. Giroux pour rejoindre la rivière du Cap Rouge. Il est donc permis de croire que son premier propriétaire l’ait fabriqué la pirogue pour naviguer sur cette petite voie d’eau. La découverte de la pirogue de Sainte-Foy ne constitue pas le seul témoin de l’utilisation de ce type d’embarcation dans la région de Québec. Ainsi, Pierre-Georges Roy mentionne dans son livre L’Île d’Orléans : « Pendant tout le régime français (…) Quand le pont de l’île ne prenait pas ou devenait dangereux pour les piétons et les chevaux (il n’y avait qu’un pont de glace en hiver), on se rendaient à Québec en canot. »

Crédit photo : René Bureau

Le canot était une espèce de pirogue creusée dans un tronc d’arbre, dont chaque partie était reliée à l’autre par une quille plate en bois de chêne relevée aux deux extrémités de façon à permettre à l’embarcation de monter facilement sur la glace quand l’opération était nécessaire. Notons ici la mention d’une quille pour monter sur les glaces. Ceci exclurait l’utilisation de la pirogue de Sainte-Foy au printemps ; cette dernière ne semblait pas en avoir eue.

À quand remonte l’utilisation de la pirogue au Québec ? La chose est difficile à dire. La première mention que l’on ait est celle faite par Samuel de Champlain en 1605, qui remarquait que les Amérindiens du Massachusetts s’en fabriquaient en brûlant l’intérieur de troncs d’arbres coupés. Pierre-Georges Roy nous dit aussi que les colons s’en servirent durant le régime français, non loin d’ici. Perh Kalm, un scientifique suédois venu étudier la flore de la Nouvelle-France en 1749, mentionne dans son journal l’utilisation de cette embarcation. Durant son parcours entre Trois-Rivières et Montréal, il note que « Chaque ferme située près du rivage du fleuve possède une ou plusieurs embarcations qui sont toutes creusées dans un morceau de grand arbre ; elles sont de différentes tailles ». D’autre part, selon Richard Gauthier : « Au XIXe siècle, l’usage de la pirogue était très répandu comme véhicule de rivière. Nous trouvons beaucoup de témoignages de leur existence (sic) sur les rivières de la Gaspésie, de la Beauce, de la Gatineau, de la Mauricie et ces témoignages nous laissent supposer qu’elles aient pu exister partout au Québec ».

C’est dans le grenier de la maison de Polycarpe Giroux, (autrefois située au 3562, chemin Sainte-Foy), que fût retrouvée la pirogue. Le père de
M. Giroux avait percuté l’embarcation en labourant son champ sur le lot 12, de la concession 3 de Sainte-Foy, vers 1850.

Crédit photo : Inventaire des Biens Culturels du Québec – Archives SHSF – Fond 0151

Kalm nous explique indirectement pourquoi la pirogue a été identifiée comme véhicule de rivière. Alors qu’il doit lui-même emprunter ce type d’embarcation, il note : « Nous devons nous contenter d’un canot (fait d’un arbre évidé) car nous n’avons pu trouver ni bateau en bois de pin ni bateau (canot) en écorce de bouleau, (…) nous laissons nos hommes naviguer dans le canot tandis que nous marchons à terre ferme à leur côté. Un voyage dans une embarcation de ce type est assez pénible pour ceux qui ont à ramer ou à propulser car l’un des hommes doit se tenir à l’avant et l’autre à l’arrière, chacun tenant à la main un aviron qu’il utilise soit pour pousser le canot, soit le faire avancer en pagayant. Ordinairement les hommes le maintiennent très près du rivage, là où l’eau est peu profonde, ce qui leur permet d’atteindre aisément le fond à l’aide des avirons et de faire avancer rapidement le canot. Les hommes peuvent donc pas s’assoir, mais doivent demeurer debout aussi longtemps qu’ils peuvent aller vite, puisque ce genre de canot ne permet pas la propulsion à rames ». Ces propos mettent en relief la difficulté de manœuvrer une pirogue et nous font saisir tous les efforts des habitants de l’île d’Orléans qui utilisaient cette embarcation pour rejoindre les rives du fleuve.

Toutefois la pirogue perdit de sa popularité au Québec pour d’autres raisons. En effet, pour la fabriquer, les gens utilisaient des troncs de grands pins qui offraient de nombreux avantages, telles que l’homogénéité du bois, sa légèreté et sa résistance à la décomposition, ainsi que de grandes dimensions. De la moitié du XVIIIe siècle à la fin du XIXe, ces arbres furent l’objet d’une exploitation intensive au Québec, de telle sorte qu’on n’en retrouvera plus.

La pirogue de Sainte-Foy existe-t-elle encore aujourd’hui ?

Bien que des recherches aient été entreprises pour la retracer la pirogue et que très peu d’espoir subsiste, la maison où elle était déposée a été détruite par les flammes en 1967. Nous savons cependant que la résidence a eu plusieurs propriétaires de 1950 jusqu’à la date du sinistre, peut-être l’un d’eux a-t-il emporté l’embarcation avec lui lors d’un déménagement. Pour l’instant, il ne nous reste que quelques photographies et deux éclats de bois.